Des femmes & des Mots

par Tyna Geronimi

Médiatrice Culturelle, artiste peintre poétesse

Citoyenne du Monde

Port d'attache Sète

Art Lovers retrouvez-moi sur Instagram

@tynaartsgarden et @homenag_byTyna

Anaïs Nin, née Rose Jeanne Anaïs Edelmira Antolina Nin  est une écrivaine hispano-franco-américaine. Elle est née le 21 février 1903 à Neuilly-sur-Seine et décéde le 14 janvier 1977 à Los Angeles. 

 

En 1973, elle est nommée docteur honoris causa du Philadelphia College of Art. Elle est élue membre du National Institute of Arts and Letters en 1974. 

 

« Ensuite, j’ai voulu le laisser. Il y avait encore, dans quelque recoin secret de mon corps, un dégoût. Et il craignait ma réaction. J’avais envie de fuir. (…) Et je ne voulais pas le blesser en fuyant. Mais en cet instant, après la passion, il fallait au moins que je retourne dans ma chambre, que je sois seule.

Je me sentais empoisonnée par cette union. »

Anaïs Nin ( Inceste)

En 2015 est créé le prix Anaïs-Nin, prix littéraire français fondé par les auteures Nelly Alard et Capucine Motte. « Le prix, créé en hommage à Anaïs Nin, récompense une œuvre qui se distingue par une voix et une sensibilité singulières, l'originalité de son imaginaire et une audace face à l'ordre moral."

«  Je ne suis pas une femme qui appartient à un seul homme. Je suis une femme qui appartient à l'amour.  »

 

Anaïs Nin, le Feu 1935

 

« Ma seule religion, ma seule philosophie, mon seul dogme, c'est l'amour. Tout le reste, je suis capable de le trahir si la passion me transporte vers un monde nouveau »

 

Anaïs Nin, Journal de l'Amour 23 octobre 1939

Anaïs Nin, l’écrivaine, la poétesse, la psychanalyste, est une figure féminine du XXe siècle complexe et controversée. Elle reste le symbole de la libertine des années 30, une femme cosmopolite, cultivée et brillante. Une intellectuelle passionnée par le sexe qui aime séduire sans limites et qui saupoudre du voile de la romance ses multiples aventures. C’est une femme polyandre aux amours sérielles et qui, un temps, fut même carrément bigame. Une femme à la vie sulfureuse et totalement exempte de tabous. Une femme encore plus obsédée par son journal intime que par les hommes de sa vie. Et pour cause, c’est au journal qu’elle reste fidèle, je dirais même accro.

«  Le journal est mon kif, mon haschish, ma pipe d'opium. Ma drogue et mon vice. Au lieu d'écrire un roman je m'allonge avec un stylo et ce cahier, et je rêve, je me laisse aller aux reflets brisés, je quitte la réalité pour les images et les rêves qu'elle projette.  »

 Journal 1/ 1931-1934, Juin 1934

J’ai choisi de vous plonger dans l’univers d’Anaïs Nin qui a inventé une nouvelle manière d’écrire, l’introspection féminine érotique. Sa prolifique œuvre publiée tardivement est une source d’intérêt croissant pour toutes les femmes du XXIe siècle qui se retrouvent dans ce besoin de poser les mots appropriés sur leurs désirs, mais aussi une source d’intérêt pour les hommes, souvent égarés face à la complexité des sentiments féminins.

 

En femme qui se réclame femme libre, Anaïs Nin ose prendre toutes les libertés pour assouvir ses désirs, et pourtant, cherche toujours le regard des hommes et parfois des femmes de son entourage. Elle est une séductrice accomplie qui aime contrôler ses intimes et qui joue en permanence son rôle de femme aimante, voire soumise, auprès de son mari et de ses amants. Elle est constamment dans le mensonge auprès de chacun d’entre eux, tout en respectant leur sensibilité et leur dignité. Car Anaïs Nin, même si elle aménage la vérité, pour le bien de chacun, ne cherche pas à faire du mal. Elle a un grand cœur et aime sincèrement les hommes ou parfois les femmes qu’elle séduit. Elle s’attache, tout en étant amorale.

 

« Je n'ai pas de moralité.
Je sais que les autres sont horrifiés. Pas moi.
Aucune moralité tant que le mal que je peux faire ne se manifeste pas.
Ma morale existe seulement lorsque je suis confrontée à la peine de quelqu'un.»

Anaïs Nin,  Journal de l'Inceste, 30 octobre 1932

 

 

Mon sentiment en lisant ses journaux, en particulier le journal de l'amour, qui sont désormais non expurgés, est ambivalent. Anaïs Nin a un besoin constant de plaire et d’être aimée, probablement lié au manque du père, même violent et incestueux, mais elle a aussi le besoin de contrôler ses relations amoureuses, de gérer son théâtre personnel. Elle se révèle perverse et moqueuse, menteuse quasi pathologique, atteinte d'un Donjuanisme au féminin, qui n'a de cesse de la propulser dans d'innombrables aventures nourrissant son œuvre d'écrivaine. Elle démontre par ailleurs une piètre opinion des hommes qui la fréquentent, tous des intellectuels ou des artistes, dont une grande majorité deviendra célèbre, voire iconique comme son grand amour et amant, le sulfureux Henry Miller. Elle ne les trouve pas toujours assez virils. Elle déclare aussi :

 

"Je déteste les hommes qui ont peur de la passion féminine.
Ils sont comme des enfants qui ont peur de l’obscurité.”

Journal VI, le Désespoir, 20 janvier 1940

 

 

Elle écrit ce verdict implacable qui lui sert constamment pour légitimer ses mensonges :

 

«  Les hommes vouent une adoration éternelle à l’illusion. 
Ils ont besoin de croire qu’ils sont aimés pour ce qu’ils sont,
non pas pour ce qu’ils peuvent donner (…)
ils ont besoin de croire qu’ils sont des Dieux. »

Journal, 27 novembre 1932

 

Correspondance entre Anaïs Nin et son père.

(Mai 1933)

Mai 1933

La lettre du Père à sa fille telle que publiée dans le journal de l’inceste en date du 8 août 1933

 

(…) je rêve de notre fuite vers le soleil et de pouvoir être à toi entièrement pendant quelques jours. Nous méritons cette joie divine. Nos cœurs brûlés à toutes les flammes refleurissent joyeusement. La bonne graine germe, puissante et saine, à la chaleur ardente de nos âmes ressuscitées. Évadés d'un douloureux passé, nous venons l'un à l'autre pour reforger l'unité brisée. (...) Mais cette communion surnaturelle demande des heures et des heures d'effusion continue, dans la solitude, entre le ciel et la terre. Les dieux n'auront pas connu un plus grand bonheur. À toi, Anaïs bénie, constamment.

 

Réponse d’Anais à son père 21 mai 1933

 

Chaque découverte que j'ai faite de ta vie, de toi, répond à ce que j'ai le plus profondément voulu qu'elle que tu sois. Je me rends compte que je les ai cherchées dans d'autres êtres, obscurément. Que toi, et toi seul, remplis un grand vide que je trouvais dans le monde. Sais-tu ce que voulait dire le cristal brisé? Tout cela représentait le monde irréel dans lequel je vivais. Le bateau... la mer... Je voulais toujours partir, quitter le monde. Quand tu es revenu, la réalité m'a paru belle, complètement satisfaisante. J'ai brisé le factice, le rêve, le monde artificiel, figé, mort. Et tu écris, toi aussi : « res- suscité ! »

Toute la vie d'Anaïs Nin, du moins dans ses excès, est liée à mon avis à Joaquim son père auquel elle s’identifie complètement. Ce père qui l’a initiée au plaisir charnel dans son enfance et qui, vingt ans plus tard à l’âge adulte, est devenu un homme qu’elle désire. Cette fusion totale incestueuse se réalise dans le cadre d’une passion amoureuse partagée qui se révèle au travers d’échanges épistolaires sans ambiguïté, de vraies lettres d’amour, les mots d’un inceste “choisi“, du moins consenti. Anaïs Nin reste encore aujourd’hui une personne scandaleuse dans ses propos qui ne correspondent pas au discours actuel de libération de la parole pour combattre ce fléau de l’inceste. En la lisant, on prend conscience que ces mots jetés sur le papier sont comme les aveux d’un patient chez un psychanalyste et qu’ils n'étaient pas forcément destinés à être lus. Se dire amoureuse de l’inceste et aimer partager ses amours restent les dires d’une personnalité hors du commun, une auteure incroyable au registre érotique large et certainement à l’imagination débordante dont ont pu et pourront encore se préoccuper bien des psychanalystes.

 

Au-delà de toutes ces expériences érotiques, Anaïs Nin est une femme de son époque qui sait qu’elle doit développer ses élans créatifs, et qui sent qu’elle a l’étoffe d’une écrivaine dotée d’une sensibilité différente. Elle garde toujours l’espoir que ses écrits poétiques, ses nouvelles et ses romans seront appréciés.

 

«  Effroyable conflit entre ma part féminine,

qui souhaite vivre dans un monde gouverné

par les hommes, vivre avec un homme,

et ma part créatrice, capable de créer un monde à elle,

un rythme à elle, un rythme qui ne convient à aucun.  »

 

Anaïs Nin, 13 novembre 1935

 

Anaïs Nin apporte une véritable réflexion concernant l’écrivain et l’écriture, nourrie de cette période passionnante à Paris qu’elle partage avec Henry Miller, notamment dans la Villa Seurat à Montparnasse :

 

"Nous écrivons pour goûter la vie deux fois,

dans l'instant et rétrospectivement." 

Journal, février 1954

 

Toute personne qui cherche à écrire une histoire ou un livre reçoit des messages forts de la part d’Anaïs Nin :

 

"Si vous ne respirez pas par l'écriture,
si vous ne criez pas par l'écriture,
si vous ne chantez pas par l'écriture,
alors n'écrivez pas,
car notre culture n'en a pas l'utilité.”
 

Anaïs Nin, Journal, février 1954

 

La même année, elle explique  :

 

« Le Journal est comme la vie même,

une œuvre inachevée.

Parfois, j'aimerais vivre assez longtemps

pour le terminer en détail,

en faire une œuvre proustienne. »

 

Quant à moi je retiens cette belle pensée plus globale sur l’art:

 

"L'art a pour fonction de renouveler notre perception.

Ce qui nous est familier, nous cessons de le voir.

L'écrivain bouleverse la scène familière et,

comme par magie, nous y voyons un nouveau sens."

Le  Roman de l'avenir, 1968

 

En fait, la célébrité littéraire lui viendra de la publication de ses journaux expurgés en 1964.

Dès 1966, le succès est là. Vénus Erotica, ses nouvelles érotiques écrites à New York en 1940 comme un pur travail alimentaire, lui vaudront un succès planétaire à sa mort en 1977. Sous le titre original,  Delta of Venus: Erotica elles seront publiées à New York  chez  Harcourt Brace Jovanovich. Elles paraitront en France en 1981.

 

En conclusion, je souhaite finir cet article sur la langue poétique d’Anaïs Nin avec un extrait de sa première publication

«  The House of Incest  » 1936,

publié en Français en 1979,  et considéré comme une rêverie poétique surréaliste, «  une Saison en Enfer  » féminine. Ce texte est servi par une   saisissante traduction de Claude Louis-Combet.

“Nos mots improférés,

nos larmes retenues,

nos blasphèmes ravalés,

nos phrases amputées,

nos amours massacrées

se métamorphosaient

en minerai magnétique,

en tourmaline, en agathe,

le sang gelé devenait cinabre,

et, brûlé, galène; aluminé,

sulfurisé, calciné,

il prenait la rutilance minérale

des météores éteints et des soleils épuisés

dans la forêt des arbres morts

et des défunts désirs"

"The words we did not shout,

the tears unshed,

the curse we swallowed,
the phrase we shortened,

the love we killed,

turned into magnetic iron ore,
into tourmaline, into pyrite agate,

blood congealed into cinnabar,

blood calcinated, leadened into galena,
oxidized, aluminized, sulphated, calcinated,
the mineral glow of dead meteors

and exhausted suns in the forest

of dead trees
and dead desires."