A chacun son empreinte !
Pour rejoindre Phil sur le trottoir et juste avant que ce dernier s’engouffre dans un taxi, Rose, faisant fi de la pluie et du sol glissant, avait battu tous ses précédents records de vitesse. En effet, malgré ses escarpins aux pieds, et l’avance prise par son vieil éléphant, la belle avait réussi à le rattraper, une poignée de secondes seulement avant qu’il ne s’engouffre dans un taxi. Même si la situation prêtait à confusion, elle n’avait rien à se reprocher et le cria avec toute sa voix de cantatrice mais surtout avec la gravité appropriée. Même si l’opéra se trouvait juste à coté, elle ne jouait pas. C’était comme un pan de mur qui venait de s’écrouler à ses pieds. Même si leur romance ne se comptait à cet instant, qu’en quelques jours, l’édifice en construction s’était déjà payé la part du lion dans son ciel de vie. Alerté par ses cris, Phil tourna le dos à son taxi et laissa Rose s’exprimer avec un ton plus doux :
- Je te jure que je ne voulais pas. C’est un baiser volé, rien d’autre qu’un baiser volé. Je t’en prie, crois-moi.
La pluie tombait de plus en plus fort et le cliquetis des gouttes d’eau sur le trottoir se faisait de plus en plus fort. Les yeux de Phil fixaient ceux de sa dulcinée, légèrement troublé par les gouttes de pluie mais aussi quelques larmes devenues, devant cette émoi, impossibles à retenir. Le chapeau de Phil laissait s’échapper quant à lui, un ruissellement qui venait s’ajouter à toute l’eau qui tombait déjà sur les épaules de Rose. Coupés du reste du Monde, indifférent à la forte averse, les deux amants se jetèrent l’un contre l’autre. Phil essuya délicatement le visage de Rose. S’en suivi un long baiser puis le temps pour nos deux protagonistes de regagner la loge de Rose. Littéralement assaillie par José lorsqu’elle avait quitté la scène, elle n’avait pas eu le temps de lire le message que Phil avait inscrit sur le miroir de celle-ci. A sa lecture, son corps fut pris de légers frissons, assortis presque immédiatement par une nouvelle étreinte et un baiser, en rien, moins romantique que la plus romantique des scènes de baisers hollywoodiens. Réconforté par la fébrilité de sa belle devant lui, le vieil éléphant n’en était pas moins rassuré. Il la serra un long moment encore contre lui avant de l’emmener dans l’une de ses gargotes où il aimait se restaurer. Sans en afficher plus sur son mépris pour le gluant de José, notre vieux pachyderme n’en pensait pas moins et allait oeuvrer pour éloigner Rose de ce prédateur. Si l’attitude de l’impresario avait jeté un froid sur la soirée, nos deux tourtereaux ne trainèrent pas très longtemps à table. Le regrettable malentendu provoqua, après la colère, une autre explosion. Pour le plus grand bonheur de Phil, Rose, après lui avoir ouvert ses bras, lui ouvrit la porte de sa chambre et son lit. Dans une frénésie partagée, les deux amants se jetèrent l’un sur l’autre avec douceur puis fougue. Leurs deux corps s’entremêlèrent très vite pour s’emballer et assouvir leurs besoins de fusion physique. Bien que légèrement recouvert d’une fine couche adipeuse, le corps de Phil était athlétique et les mains de Rose s’y promenaient avec adresse. Rose semblait s’y être déjà abandonnée et flottait dans son esprit et pour la énième fois, cette sensation si particulière, si étrange. Son esprit, décalé de ses gestes d’amour, lui livrait des images semblables à leurs étreintes mais entrecoupées de différents visages. Phil quant à lui, restait dans le concret de l’instant et voulait donner à cette première nuit d’amour et de sexe, un parfum d’inoubliable. La belle ne lui refusa rien et livra son corps à toutes les envies de son amant. Elle fût même étonnée et heureuse que Phil soit si performant et si expert. Ses caresses comme ses vas-et-vient portèrent, à plusieurs reprises, Rose et son partenaire à l’orgasme. Leur première nuit fut longue et libéra du corps de Rose tous les sucs de l’amour pour la plus grande mais aussi la plus discrète des fiertés, ressenties par le mal en trans que fut Phil jusqu’au premières lueurs du jour.
Aux aurores, le carnet de prospection de Phil sépara très vite nos deux amoureux. A la fenêtre de son salon, Rose esquissa un dernier sourire à son vieil éléphant béa et le regarda s’engouffrer dans son taxi. Sa tasse de thé à la main, elle revisita sa nuit mais aussi toutes ses visions. Une nouvelle fois encore, son corps fut empreint de frissons et son esprit intrigué. Cependant, ce qu’il y avait de nouveau résidait dans une vision plus nette que toutes les autres. Rose faisait l’amour à un homme que sa vie ne lui avait jamais donné l’occasion de connaitre. Le plus surprenant, c’est que cet homme avait une voix identique à celle de Phil. Les images alors se bousculaient dans son esprit et Rose se voyait encore avec deux ou trois hommes différents mais pour chacun d’entre eux, à la voix et au vocabulaire similaires à celui de Phil. Après un court instant d’arrêt sur images, Rose gagna sa salle de bain. Nue sous la douche , elle revisita sa nuit d’amour et laissa son corps s’inonder de la chaleur de l’eau et des frissons causés par les réminiscences de sa nuit et des mains de Phil parcourant son corps. Au souvenir des mains de Phil sur son entre-cuisses, la jeune cantatrice s’abandonna à quelques caresses intimes, resta un long moment sous le fil de sa douche puis engagea sa journée.
Son caractère indépendant et sa volonté de maitriser son destin et sa carrière lui imposèrent de mettre les points sur le I à son impresario. Elle décrocha son téléphone et pris le gluant à la gorge.
Rose au téléphone : « Non ! Tu n’avais aucunement le droit de m’embrasser ou plutôt d’essayer de le faire comme tu l’as fait. Je suis sous contrat avec toi mais ce n’est pas un contrat de mariage.Il n’y a rien qui justifie ce que tu as fait hier soir, rien…Oui, j’ai bien entendu. Tu t’excuses mais pas moi. Je veux t’entendre dire que c’était la dernière fois….j’attends. »
Au bout du fil, le galant de José exprima avec une servitude de façade, ses regrets annoncés comme sincères mais reçus par Rose avec toutes les réserves du Monde. Ensuite, leurs échanges les ramena très vite à l’essentiel, le calendrier de cantatrice de Rose. Après l’Opéra Bastille, le public New-Yorkais attendait la belle pour la fin du mois et elle se devait de préparer avec son gluant, ses rendez-vous presse, la réservation de son hôtel et de son vol.
Le mois de novembre tirait à sa fin, la température glissait doucement mais sûrement vers le froid ce qui donna à nos deux amoureux une envie encore plus grande de se glisser ensemble sous une bonne couette. Malgré les turbulences occasionnées par la vie, les nuits torrides se suivirent avec le même engouement et des scènes de plaisirs inavouables mais vécues pleinement par Rose et son vieil éléphant. Puis Rose s’envola, loin de Phil, pour la grosse pomme et pour donner une dimension internationale à sa carrière. Le Metropolitan Opéra et son public l’attendaient, la presse américaine aussi. La soirée d’ouverture généra un flot d’articles positifs sur les performance lyrique de Rose mais aussi un flot de vantardises de son gluant d’impresario qui recommandait à la coller avec un peu trop d’insistance. Un soir de décembre, le vol AF0006 d’Air France se posa sur le tarmac de l’aéroport international JFK de New-York. A son bord se trouvait Phil. Il n’avait pas supporté l’idée que sa belle puisse partir aussi loin de lui avec, à ses cotés, le gluant de José. Les révélations faites par Rose durant leurs longs échanges téléphoniques avaient largement attisé son inquiétude et l’avaient très vite convaincu de sauter dans le premier avion pour aller prêter main forte à sa dulcinée et qui sait, l’engager à botter le cul du gluant si cela s’avérait être nécessaire. Le temps d’un week-end prolongé, Phil débarqua avec enthousiasme sur les trottoirs de Manhattan et, marcha à pas gigantesques vers le Lincoln center. Avant de retrouver sa belle, Phil découvrit combien l’hiver pouvait être rude dans les rues de New-York. L’élégant chapeau qu’il portait n’empêcha pas le vent glacial de lui frictionner les oreilles. Mais, c’est bien connu, l’amour est plus fort que tout. Une seule chose comptait à chacun des pas effectués sur le trottoir et par la trotteuse de sa montre, retrouver Rose et la serrer dans ses bras. A son arrivée, Phil rencontra quelques soucis avec la sécurité mais ce fut très bref. Bizarrement et contre toute attente, l’objet de tous ses tourments, le gluant personnifié, l'auteur du baiser volé, l’impresario de tous les dangers vint à son secours et lui ouvrit les portes des coulisses. Un peu plus d'une heure plus tard, Rose et Phil laissèrent José derrière eux et se jetèrent dans un taxi, avides de découvrir, ensemble, la vie nocturne newyorkaise.
Phil, comme un vieil éléphant ne se laissa pas longtemps chanter la pomme par José. L’impresario de sa dulcinée avait beau lui avoir rendu service en lui permettant d’investir les lieux ou sa belle se produisait, Phil n’avait toujours pas digéré l’épisode du baiser volé. A peine arrivé dans les coulisses, il posa sa main assez fermement sur l’épaule de l’impresario et lui balança avec fermeté :
« Que ce soit bien clair entre-nous, je ne vous apprécie pas du tout. Ce qui s’est passé à Paris ne doit jamais plus existé ou alors…."
Le gluant lui coupa la paroles et lui rétorqua, d’un ton mielleux : "C’est un regrettable mal entendu, je vous assure que…"
Phil ne le laissa pas finir sa phrase et haussa le ton :
« Stop ! Vous avez entendu, stop. Je ne veux plus vous entendre. Et je vais vous dire pourquoi. L’incident de la dernière fois n’était pas le premier. Votre insistance et vos gestes déplacés durent depuis trop longtemps. Alors, assumez ce que vous êtes et regarder."
Phil lui montra son poing et en vieil éléphant rompu à la concurrence, lui balança avec aplomb :
« Encore un écart et je vous fout mon poing sur la gueule. Je crois…Non, je sais que Rose n’a pas manqué d’être claire avec vous. C’est terminé, vous m’entendez, terminé… »
Phil plaqua son interlocuteur au mur et les dents serrées mis un point final à leur conversation :
« Maintenant, je vais l’attendre dans sa loge. Si vous avez quelque chose à lui dire, bien évidemment, quelque chose de professionnelle, je vous accorde deux minutes, pas plus. Ensuite, pour éviter toute perte de temps, je n’ai pas du tout mais alors, pas du tout, envie d’aller prendre un verre avec vous ou pire encore, de diner en votre compagnie. Je vous laisse deux minutes et c’est déjà beaucoup."
Si l’impresario de Rose savait jouer les décideurs et les gluants devant toutes les femmes avec lesquelles il avait signé des contrats, il était à cet instant précis aussi effacé qu’un gamin qu’on aurait prit la main dans le pot de confiture. Une fois libéré de la contrainte imposée par Phil, il tenta en vain de se dégager. Phil le reprit de plus belle avec un ton toujours aussi ferme :
« Je ne vous ai pas entendu dire qu’on était d’accord et j’en ai besoin. Je vous écoute. »
L’impresario s’exécuta puis, après avoir remis d’aplomb le col de sa chemise, disparu très vite dans les couloirs. Trente minutes à peine après cet incident, nos deux tourtereaux se retrouvèrent. La distance et la séparation n’avaient en rien affecté leurs sentiments. Après un long baiser et une étreinte, façon vieil éléphant transi d’amour, ils quittèrent l’opéra pour s’engouffrer dans une calèche. Emmitouflés dans une épaisse couverture, ils commencèrent, serrés l’un contre l’autre, le New-York by night et goûtèrent au calme nocturne des allées de Central-Park. Cadencées par le claquement des fers des chevaux sur la chaussée, nos deux amoureux les paroles de Rose et de Phil s’enchevêtraient les unes dans les autres avec harmonie et leurs donnèrent, malgré le froid, la sensation que leur promenade avait été trop rapide. La calèche, sur les instructions de Phil, stoppa sa course à quelques dizaines de mètres du restaurant « Le cirque » où ils s’installèrent pour diner. Phil avait tout organisé et prit soin de réserver une table depuis Paris. Une coupe de champagne à la main, ils trinquèrent à leur amour avec des étoiles plein les yeux. Le vieil éléphant sorti alors de la poche de sa veste une enveloppe. Dans celle-ci se trouvaient deux billets d’avions pour Nairobi et un itinéraire détaillé de safari. C’est à ce moment précis que Rose fut subitement prise de violents frissons. A peine Phil avait-il fini de lui présenter ce projet de voyage que son corps tout entier fut comme happé par la force des visions qui submergèrent l’esprit de Rose. Elle voyait un homme et une femme à la table d’un restaurant. Ni la femme, ni l’homme ne ressemblait à Rose ou Phil mais, fait stupéfiant, avaient tous deux des voix identiques. La femme que sa vison lui présentaient parlait comme elle, avec les mêmes mots. Des mots et des phrases totalement identiques aux derniers mots sortis de la bouche de Phil, sortaient de la bouche de l’homme qu’elle voyait. Phil constata pour la première fois le trouble de Rose. Même si l’incident ne dura pas une minute, sa violence fut telle que Rose coupa la paroles à Phil et le stupéfia par ses propos. Rose avec un ton et un rythme presque mécanique balança un escadron de mots très précis à Phil :
« Non, ne me dis rien de plus. Je sais exactement ou tu souhaites m’emmener. Nous partirons de Nairobi pour un vol en Montgolfière. Nous survolerons les plaines de Tsavo et le parc national d’Amboseli. Nous verrons au loin le Kilimandjaro et un troupeau d’ éléphants. Un peu paniquée par l’altitude, je sais que je ressentirais le besoin de me serrer contre toi. Je vois tout notre voyage Phil. Je ne sais pas comment mais, je vois tout un périple que je dois faire. Je vois une jeune femme et un homme un peu plus âgé, comme toi et moi. Toutefois, ce n’est pas toi, ce n’est pas moi. Par contre, ce sont nos voix à tous les deux qui me parlent. Je vois les lodges et aussi l’écriteau d’entrée du parc du Masai Mara. C’est tout simplement stupéfiant…"
Rose gardait les mains légèrement au-dessus de ses épaules et complètement habitée par ses visions, les déclinaient avec une précision qui laissa notre éléphant sans voix. Avant cette minute, il ne lui avait parlé de rien. Il n’avait lâché aucune information susceptible de donner à Rose la possibilité de découvrir avant l’heure ce qu’il souhaitait présenter comme une surprise totale. Notre vieil éléphant était tout simplement scotché, médusé par la véracité des révélations de Rose qui concordait exactement avec la feuille de route qu’il avait soigneusement préparée avec l’agence de voyage et dans une discrétion totale. De plus, il avait tout préparé la veille seulement de son départ pour New-York. Il était impossible à Rose de. Savoir quoi que ce soit sur ce périple. Pourtant, la belle, comme envoutée, continuait de plus belle à tracer toutes les étapes de leur safari. Chacune d’elles était agrémentée d’anecdotes sur des moments privilégiés. Bien que littéralement absorbé par le récit, Phil eut lui aussi une vision. Elle ne faisait en rien appel à un phénomène paranormal mais le mis en alerte rouge. Il devait stopper son récit avant que celle -ci n’arrive au point culminant de leur voyage. Le vieil éléphant avait également ajouté une dernière surprise à ce voyage et celle-ci devait rester une surprise. Il décida d’interrompre brutalement sa dulcinée :
« Rose ! Rose, qu'est-ce qui t’arrive ? Que se passe-t’il ?
Le diner de nos deux amoureux fut longuement perturbé par l’émoi avec lequel Rose contait et expliquait ses visions brutales. Phil l’écoutait à chaque bribe de récit sans trop savoir que dire ou faire. Tandis que sa dulcinée étalait à ses oreilles l’impensable, il était comme tantôt saisi par la curiosité, tantôt tiraillé par sa volonté de stopper coute que coute, le récit de Rose. La belle avait le visage marqué par l’interrogation et un peu d’angoisse. Son regard, de concert avec le va-et-vient de ses mains, un coup pointées vers le ciel puis l’autre sur le haut de sa tête, confirmait son trouble. Par delà cette scène semblable à une séquence de science-fiction, Phil, plus terre à terre voulait calmer sa belle, stopper sa frénésie d’interprétations sur, ce qui d’après lui, n’était peut-être dû qu’à un surmenage et une pure coïncidence. Dans tous les cas, penser cela, l’arrangeait un peu. Seulement, il n’était envisageable pour lui, d’avouer cela à Rose, s’eut-été comme la traiter de folle. Malgré le trouble provoqué par cette étrange situation, le vieil éléphant jouait une mi-temps dans chaque camp. Il essayait de réconforter Rose puis, une minute après, devant la déferlante de ses révélations, un peu dépassé, la renvoyait aux quelques jours qu’ils avaient à écouler ensemble avant de connaitre une nouvelle séparation de plusieurs semaines et lui demandait inlassablement de se calmer.
Après avoir diner, nos deux amoureux quittèrent le restaurant pour le W hôtel . n’était pas très loin et une petite marche ferait du bien à Rose. Ils marchèrent lentement jusqu’à Time Square et flânèrent ensuite autour d’un verre au bar du W.
La performance artistique de Rose, les tracas générés par ses visions et les trois martinis ingurgités par la belle, la conduisent très vite dans les Bras de Morphée et privèrent son vieux pachyderme de la nuit d’amour sur laquelle il avait fantasmé durant toute la traversé de l’océan atlantique. Si le décalage horaire n’avait en rien entamé ses ardeurs, il, n’eut pas d’autre choix que de s’abandonner, lui aussi, à sa première nuit new-yorkaise mais, dans son lit.
Le lendemain matin, ce ne fut pas un baiser de sa belle qui réveilla Phil mais deux ou trois coups de langue de Puffy. Le chien de Rose accompagnait sa maitresse dans tous ses déplacements et avait pour l’heure, la vessie en alerte rouge. C’est comme ça, de corvée de pipi, que Phil engagea sa journée, par un tour de Central Parc avant de prendre un petit déjeuner avec celle qu’il ne voyait plus que comme sa promise. Même si le vieil éléphant avait les pieds bien ancrés sur les trottoirs new-yorkais, son esprit l’emportait déjà sur le sol africain où il avait décidé de demander sa belle en mariage. De musée en restaurant en passant presque tous les soirs par le sommet de l’Empire State building , nos deux tourtereaux retrouvèrent une vie amoureuse plus sereine. Même si les journées de Rose étaient quelque peu raccourcies par les répétitions et les représentations, il restait à nos deux amoureux suffisamment de temps pour découvrir les secrets de la grosse pomme. Il passèrent de longs moments sur Soho, à visiter les boutiques de créateurs du quartier, ses magasins huppées et ses galeries d’art. Rose s’adonna à un shopping forcené pour revenir les valises pleines de nouvelles toilettes . Phil plus prosaÏque ne cessa de vanter la beauté et l’élégance de certaines façades d’immeubles, les ornements de fer forgé et le charme des rues pavées. La vie nocturne des new-yorkais leur apporta de très beaux moments, exception faite de la soirée passée avec la troupe de l’Opéra. Même si le gluant de José avait gardé distance et retenue, sa seule présence avait chauffé un peu les oreilles et l’humeur de Phil.
C’est un baiser interminable qui sépara nos deux protagoniste dans le hall d’entrée de l’aéroport de Newark. Phil avait un carnet de commandes en souffrance et ne pouvait rester plus longtemps. Il quitta bien tristement sa belle mais avec une grande satisfaction. Rose avait accepté avec joie et malgré ses troublantes visions de répondre oui au Kenya. Après quelques jours passés sans de nouvelles visions, elle avait fini par relativiser et laisser une part raisonnable au doute. Toutes ses visions n’étaient peut-être qu’une pure coïncidence et probablement que le fruit du hasard et de la fatigue liée à ses prestations de cantatrice. Elle quitta l’aéroport et son vieil éléphant, avec la même tristesse. Bien calé dans son sac à main, Puffy commença à gigoter, trouvant le temps des adieux un peu trop long. Elle s’engouffra très rapidement dans un taxi et regagna Manhattan. Tandis que Phil montait dans l’avion en direction de Bordeaux, la belle reprit le cours de ses investigations et de ses emplettes sur la cinquième avenue.
Nos deux tourtereaux passèrent plus de trente cinq jours l’un sans l’autre, séparés par les milliers de kilomètres de l’Océan Atlantique et tous deux avides de se retrouver pour partir en safari. Leur nuits furent de nouveaux et quotidiennement entrecoupés de coups de téléphone interminables que le décalage horaire rendait un peu plus pénibles encore au vieil éléphant qui leur abandonnait des heures de sommeil. Non seulement ses nuits étaient courtes mais il devait également gérer les tourments de sa libido fortement enflammée par la voix de sa belle, au bout du fil. Mais, quand on est amoureux, la trotteuse de votre montre galope et celles de nos deux amoureux galopèrent jusqu’à les amener devant un nouveau hall d’aéroport, celui de Nairobi. L’heure était au safari et à la découverte des plaines kényane et de leurs immenses réserves. Le 4X4 transporta très vite Rose et Phil dans les interminables ornières des pistes de terre rouge. Comme sur certaines cartes postales, ils croisèrent durant leur premier jour des girafes, des phacochères, des zèbres et bien d’autres espèces animales encore; Phil prêta une attention particulière aux singes aperçus dans le jardin de leur lodge, En effet, la couleur bleue des testicules du singe Vervet avait donné l’occasion à Phil de mettre en avant cette curiosité naturelle autour de laquelle, il ne tarissait pas de commentaires et n’en finissait plus de s’interroger.
Le soir, le spectacle nocturne d’un point d’eau le ramenait à la magie du sol africain et donnait à son périple la poésie dont tout le monde rêve. Sa dulcinée était collée à son côté et, ensemble, ils tutoyaient tous les dieux de la création avant de parcourir amoureusement le corps de l’autre, dans le calme et la chaleur de la nuit. Puis vînt le jour de l’envol. Rose et Phil, comme la belle l’avait vu dans ses visions et Phil programmé dans leur safari, montèrent dans une montgolfière pour survoler les plaines d’Amboséli. Une fois encore, la splendeur des lieux, le panorama offert par l’’altitude et la magie qui se dégageait de l’instant portèrent Rose et Phil au firmament des amoureux et au plus profond de la création. Blottie dans les bras de Phil, Rose en prenait plein les yeux et plein le coeur. Décidément, la vie, sa vie se présentait sous le ciel le plus romantique du Monde et pour le coup, son vieil éléphant se trouvait être à ses yeux, l’instigateur de toute la magie ambiante. Les yeux de la belle, loin de la férocité animale, le dévoraient littéralement.
C’est à Masai-mars, dans un village Masai que l’aspect sauvage de l’Afrique reprit la vedette à la carte postale. Un vieux lion se mit à courir à travers les manyattas (maisons traditionnelles masai), dans la direction de nos deux amoureux et d’un groupe de guerriers en pleine représentation de danse. Rose fut prise de panique et bien que moins démonstratif, Phil eut un moment la peur au ventre avant que tous deux ne découvrent que Clarence était inoffensif et courait juste vers le chef du village, celui qui l’avait recueilli alors qu’il n’était encore qu’un lionceau. Rose, très apeurée retrouva ses esprits dans les bras de Phil après une brève mais authentique coulée de larmes. Hélas, la dissonance de l’incident provoqua chez la belle, de nouvelles visions et une crise bien plus forte que celle de New-York. Elle fut prise de tremblements et de soubresauts violents et se mit à délirer. Rose, dans les bras de Phil et dans un état second :
« Je sais maintenant pourquoi je suis ici avec toi. Je sais que tu vas mourir. »
Phil fut invité par le chef du village a porter sa belle dans l’une des manyattas. Les témoins de la scène pensèrent à cet instant, que le soleil avait peut-être trop taper sur la tête de Rose. Il n'en était rien.
Le safari conduisit nos deux tourtereaux vers le sommet du Kilimandjaro et de merveilleuses soirées à contempler le couché si envoutant du soleil africain et l’arrivée d’animaux sauvages sur les différents points d’eau de leur itinéraire. Les visions de Rose perturbaient Phil quelques heures mais son amour était bien plus fort que les tourments causés par les révélations issues des délires de Roses. La plupart du temps, sa belle en oubliait la presque totalité et ne lui revenaient à l’esprit, une fois son calme retrouvé, que des bribes incertaines à son esprit.. Les lodges offraient tous de magnifiques panoramas et donnaient à leurs petits déjeuners une magie aussi enjôleuse que les soirées devant lesquels ils aimaient tous les deux contempler le spectacle naturel de la brousse dans de longs silences. Presque tous les jours, un petit geste de la main de l’un ou de l’autre, magnifiait l’instant. Leurs deux mains se confondaient et leurs yeux laissaient un court instant l’Afrique pour offrir à leurs deux âmes quelques secondes d’émotions vives qui, à coup sur, s’inscriraient à jamais dans leurs mémoires Ils savourèrent chacun de ses plaisirs simples avec une sérénité réparatrice et revinrent du Kenya plus amoureux encore….
Même si le déroulé professionnel de leur vie les ramena tous deux et dès leur retour sur Paris vers un rythme plus effréné, leur vie amoureuse se mit brusquement à l’accélération et tira un rideau sur les priorités d’hier. Les mois s’écoulaient à une vitesse folle, les fêtes de fin d’année étaient proches et nos deux tourtereaux se brulaient mutuellement les ailes depuis un peu plus d’un an. Au grand damne de José, Rose refusa plusieurs contrats pour rester disponible et voyager avec Phil. Un matin, l’imprésario s’énerva violemment après Rose: « Non ! Pour moi, ce n’est plus possible. Je ne peux pas continuer à dire non à tout ce que l’on te propose. Tu n’es qu’à l’aube de ta carrière et tu es entrain de tout foutre en l’air pour une idylle qui…
Rose très en colère ne laissa pas José terminer sa phrase : « Arrête avec ça ! Tu sais très bien que le problème ne vient pas de Phil mais de ta jalousie et de ton obstination à toujours vouloir m’envoyer le plus loin possible de lui. Je n’en peux plus de toi et de tes contrats au bout du Monde. Je veux vivre, tu m’entends, vivre !!!
José lui coupa la parole : « Tu dois chanter aussi, je te le rappelle…
Les bras en l’air, Rose lui coupa de nouveau la parole avec force : Oui, bien évidemment je dois chanter mais pas pour un maitre chanteur… pour un public et je veux choisir mon public. Je suis fatigué d’être à la merci de tes manigances.
José, outré : « De mes manigances, tu n’as pas toujours dis-ça, surtout quand tu n’étais encore qu’une illustre inconnue.
Rose, de plus en plus en colère : « Vas-y, déballe tes inepties, fais comme si j’étais définitivement stupide. Tu crois que je ne sais pas que tu as refusé plusieurs scènes françaises sans m’en parler. Et puis, c’est moi qui t’es sorti de l’impasse. Tu as la mémoire courte ou sélective. Monsieur le grand impresario n’avait plus un artiste dans le coup quand je suis venu le voir la première fois. C’est moi qui suis venue vers toi avec un contrat, pas l’inverse. Tu n’étais plus rien et..
José, au bout de sa vie : « Tu ne connaissais rien du milieu et voilà que tu veux me donner des leçons. »
Rose, encore plus remontée : Oh que oui ! Je l’ai les écouté tes leçons et je t’ai également bien payé pour ton travail. Je ne te dois rien. Tu sais quoi, c’est fini. Mon métier offre du rêve au public, toi, tu me fais vivre un vrai cauchemar. Je n‘en peux tout simplement plus de toi. Notre collaboration s’arrête aujourd’hui, maintenant. C’est terminé, tu m’entends, terminé.
Rose tourna le dos à son interlocuteur, attrapa d’un geste rapide son sac à main et ouvrit la porte du bureau quand José répliqua avec arrogance : « On ne me vire pas comme ça, moi. Nous avons un contrat, tu…
Rose ne le laissa pas finir. Sans même se retourner pour lui parler, elle lui balança avec mépris : « Tu sais où tu peux te le mettre ton contrat ? »
Et, elle claqua la porte.
De retour chez elle, Rose se prépara un thé et se fit couler un bain. Si le début de la ,journée avait bien mal commencé, elle pouvait se terminer dans la chaleur et l’intimité d’un diner avec Phil. Dans son bain, elle prit la décision de mettre sa carrière en sourdine quelques temps pour vivre pleinement les fêtes et pour le début de la nouvelle année, vivre son histoire d’amour sans contrainte. Elle allait commencer par l’achat d’un sapin et tout ce qui pourrait l’orner pour en faire un arbre étincelant. Ensuite, elle commencerait sa quête de cadeaux de Noël pour son vieil éléphant.
Quelques jours plus tard, Phil lui annonça qu’ils étaient invités tous les deux à passer le réveillon du jour de l’an chez sa soeur Carla. Elle avait un chalet près de Combloux et Phil une très grande envie de skier ce qui ne fut pas pour déplaire à Rose qui, elle aussi, adorait la montagne et le ski.
A peine débarqué chez Carla, Phil se fit planté par Rose, avec les valises et une multitude de corvées à accomplir pendant que Rose et sa belle soeur partirent faire du shopping sur Megève et parfaire ainsi à l’équipement de circonstance et la coquetterie si chère à sa dulcinée. Toute la journée, Phil. Fut à la ramasse de ces deux nouvelles complices. Il ne put jamais en placer une tant et si bien que relégué à un simple rôle de figurant, il préféra chausser ses raquettes et engager une randonnée en solitaire. L’Arly et les pins lui offrirent une belle ballade dans un silence de cathédrale. Il poussa sans trop de difficulté, jusqu’à Notre Dame De Bellecombe pendant que les femmes de sa vie jouèrent, sans lui, les pipelettes de haute volée. A son retour, rien n’avait changé, enfin pour nos deux pipelettes. Phil avait avait abandonnée à la neige et à sa ballade son dernier souffle tandis que Clara et Rose affichaient une grande complicité et un débit verbal à en avoir le tourni. Un peu fatigué par l’air et son escapade, Phil se tenait debout derrière elle sans dire un mot. Il était heureux que sa soeur et sa bien-aimée soient aussi complice. Après un ou deux verres devant la cheminée, nos trois protagonistes partagèrent une tartiflette et une quantité incommensurable de souvenirs dans une ambiance familiale et bienveillante. Malgré une envie toujours aussi forte de faire l’amour à Rose, Phil, aussitôt couché, tomba dans les bras de Morphée.