Extrait du roman
de
Stéphane Théri
Cette flamme de souvenir me brûle, me consume, sans que je puisse m’en écarter. Maman avait raison. Mes yeux saignent aussi fort que mon cœur et ça fait mal. Cette perte, que je ne comprends toujours pas, ronge chacune des dernières minutes de mon existence. Si le peu de vie que mon corps, malgré les absences de mon cœur, recèle encore, tente péniblement de me porter, je ne sens presque plus rien, ni la main sur laquelle je suis tombé ni même ma blessure à la tête. Je ne veux pas rentrer une nouvelle fois ici parce que je suis certain que quelqu’un va trouver les mots qui me conduiront à rentrer chez moi et que je finirai par me retrouver de nouveau, dans un jour ou deux, devant cette porte, un peu plus faible, un peu plus moche encore. Ce soir, je sais que veux mourir, que je dois mourir et je n’ai pas peur. Je veux juste, avant de crever, retracer ces moments de vie passés à coté d’elle. Les trahisons, les coups bas de nos derniers instants n’arrivent pas à éteindre ou altérer d’aucune façon le bien être que me procure le souvenir de ses rires, de nos rires mais aussi de toute la pétillante aventure que fût la notre. Les nombreux rapaces, tous les couards qui tels des parasites sont venus tour à tour piquer jusqu’à saigner à mort la tour que je croyais inébranlable du couple, que dis-je, de la paire que nous formions, ne m’ont en rien affecté au regard de sa perte.
C’est avant tout dépouillé de son amour et de sa personne que j’ai commencé à sombrer. Guillaume avait certainement raison lorsqu’il me disait que je la voyais plus forte qu’elle ne l’était. Par contre, quand il me disait qu’elle ne restait avec moi que pour l’argent, il se trompait. Léa se nourrissait d’autre chose. Mon ange hélas portait en elle, comme beaucoup d’autres femmes, les oripeaux trop lourds de l’autorité masculine, imposée, dès son plus jeune âge, par son père et ses frères. Ces imbéciles auraient dû demander, exprimer ce qu’ils voulaient dès qu’ils sont rentrés dans le cercle magique du petit monde que nous, nous bâtissions plus par jeu que par intérêt. Ce sont eux qui ont mis l’argent au cœur de ce qui n’était qu’une formidable partie de Monopoly. Léa, était comme moi, préférait à l’argent, les sensations, les échanges et les victoires que nous cumulions ensembles sur nos défis personnels et communs mais aussi sur tous ceux qui nous croyaient de prime abord fissurés du caisson. Fissurés, nous l’étions certainement un peu par le trop grand décalage que nous avions face à ces minables qui avaient, sans nul doute possible et dès les premiers contacts, identifié leurs intérêts et les échéances auxquelles ils afficheraient avec véhémence l’essentiel de leur cupidité. Le pire, c’est que mon ange les aimait. Le petit frère n’aurait pas dû douter ni de ma faculté à repérer tout cela ni de son amour. Guillaume n’aurait pas dû s’écarter de moi. Je les avais vus venir, leurs ambitions mercantiles et leur rapacité ne m’avaient pas échappé.
Mes premières sensations devant n’importe qui ne me trompaient jamais. A leur première rencontre, je n’avais ressenti que de l’aversion. Par la suite, les différentes illustrations de leur nature vénale m’avaient rapproché encore davantage de Léa que je voulais et que je croyais pouvoir protéger de tout. Je pensais assez naïvement que le moment voulu, nous leur laisserions tout pour rebâtir, seuls et sans leur dire, un nouveau projet et que cela ne pèserait pas le moins du monde sur la fraîcheur avec laquelle nous abordions nos rêves. Je crois que tout le monde rêve de pouvoir un jour connaître la réussite et le succès que nous avons connu. Notre aventure est aller au delà de toutes nos espérances et c’est sans doute cela qui a causer notre perte. La convoitise des uns et la bêtise des autres nous ont amenés au chaos. Ils nous ont volé le restaurant pour ensuite le détruire de toute leur bêtise. C’est un fait. Mais le pire, c’est ce qu’ils nous ont fait. J’ai perdu, par leur faute et par ma trop stupide gentillesse, le seul être avec lequel je pouvais bâtir un univers d’amour si grand. Le rythme de mon quotidien dès nos premiers jours ont transformé la marre de vie dans laquelle j’évoluais avant elle, en océan.
J’ai toujours eu le sentiment que si un jour l’un de nous quittait l’autre, nos deux vies se transformeraient en un gigantesque néant. Le dur chemin qui avait mené mon ange jusque au mien avait tracée la piste qui serait notre route à tous les deux et jusqu’à la mort. J’en étais convaincu. Léa portait l’univers en elle comme si les dieux nous avaient, qu’ils soient du ciel, de la terre ou de la mer, accompagné ou plus encore, comme si, ils avaient voulu nous épouser de toutes leurs puissances pour nous protéger. J’ai reçus, au coté de mon ange, ces présents des dieux de l’univers sans en prendre la réelle dimension. C’est maintenant, dépourvu de son souffle, de son odeur, de ses bruits, de ses silences que je vois le paradis terrestre qui s’était posé sous nos pieds. Quel être suis-je pour avoir été gratifié de tout cela ? Que sont devenues toutes les douleurs de la terre criées la nuit par des êtres humains, des animaux, pendant qu’égoïstement, je m’emplissait de tous mes privilèges sans me soucier un seul instant de tous ceux qui péniblement enfonçaient un peu plus leurs pas dans l’enfer terrestre ? Si, j’ai été béni par les dieux, ils ont, subitement décidé de m’oublier. Ma route a tourné brusquement le dos au paradis pour une descente aux enfers. Léa nous a quitté. Elle est morte. Voilà pourquoi mon cœur ne veut plus, ne sait plus battre. Sans mon ange, je le sais incapable de trouver assez de rythme pour me tenir en vie. Leur bêtise, mon manque d’autorité et surtout ma gentillesse à la con, l’ont tuée. Je sais maintenant que mes yeux pleurent les larmes de mon sang. Ils me brûlent tellement que je ne vois presque plus rien. Il ne me reste seulement que quelques heures à vivre encore avant d’aller la rejoindre. Je vais m’arrêter là et me laisser crever.